lundi 8 octobre 2007

Lettre à Anna.

Ma chère Anna,

Nous sommes entrés dans un automne de douceur, ici en France, les feuilles tombent à peine des arbres. Le ciel est lumineux. Un bleu d’une telle pureté que l’on se met à penser qu’il inonde le monde entier comme il éclaire mon petit bout de jardin. Le chat s’est endormi sur la chaise près de moi. Une feuille blanche, presque trop lumineuse, est posée sur la table. A côté trainent un vieux stylo à plume, de sombres pensées et des regrets éternels.
Il y a un an, Anna, tu as été assassinée dans le hall de ton immeuble. Tes meurtriers courent toujours et le président de ton pays, Vladimir Poutine s’en fiche comme de sa première tétine. Avec tes collègues journalistes de Novaïa Gazeta, tu prenais tous les risques pour dénoncer les dérives du régime, la corruption et les exactions en Tchétchénie.
Presque seule contre le Kremlin, tu disais que chaque jour était un miracle d’être encore sur cette terre. Tu rappelais que vous boucliez votre journal chaque soir comme si c’était le dernier.
Ma chère Anna, à Moscou il a plu hier, des centaines de personnes sont venus te rendre hommage.
Le ciel bleu m’insupporte maintenant. La lumière sur ton meurtre n’a pas encore été faite. La sera-t-elle un jour ? Les coupables et les commanditaires verront-ils un tribunal ? J’en doute fort dans la mesure où monsieur Poutine s’est arrangé pour se succéder à lui-même lors des prochaines élections.
Qu’en a-t-il à faire de toi puisque c’est aujourd’hui son anniversaire ?

La chaise est vide.
Le chat s’est enfui.
Je pense très fort à toi Madame Anna Politkovskaïa.






Il y a 10 ans.
Mercredi, 8 octobre 1997.
Miroir.

« Miroir Ô mon miroir, dis-moi qui est la plus belle ?» interrogeait la sorcière dans Blanche-Neige.
A partir d’aujourd’hui, la France va devoir se regarder en face, sans fard et sans maquillage. C’est du moins ce que j’espère du procès Papon qui s’ouvre à Bordeaux. A la fois le procès d’un homme, fonctionnaire au zèle meurtrier, et le procès de cette France obscure de Vichy. Selon moi, impossible de faire le distingo.
Cinquante-deux ans après la condamnation à mort de Pétain, s’ouvrent les entrailles nauséabondes de ce passé collaborationniste que De Gaulle, premier des résistants, se borna à oublier une fois Paris et la France reconquis. La nécessité de reconstruire le pays au mieux et au plus vite après 1945 a entraîné cette amnésie coupable que nous payons encore aujourd’hui. Je dis nous, parce qu’en réutilisant la plupart des fonctionnaires de l’ère Vichy, De Gaulle a non seulement remis le ver dans la pomme, mais a donné à ces serviteurs de l’occupant le sentiment d’être à jamais au dessus des lois de la République. Sans compter que cet « establishment » de hauts fonctionnaires a ensuite géré la France pendant plus de trente ans.
Ce sentiment d’innocence est aujourd’hui celui d’un Maurice Papon qui refuse ce soi-disant « acharnement » judiciaire à son encontre. Ayant été absous par celui-là même qui fut le sauveur de la Patrie, Papon est ainsi resté dans les sphères du pouvoir jusqu’en 1981, s’estimant à tout jamais blanchi de toutes ses fautes. Il profita même de ses trente-six années pour se fabriquer un passé de glorieux résistant. Ce qu’il finit par réussir en trichant bien sûr, avec l’Histoire. Le 9 juillet 1958 il obtient la carte de combattant volontaire de la Résistance.
Fautes pardonnées, passé effacé, à ce moment là Papon pense sûrement que, jusqu’à sa mort, l’histoire, la vraie ne le rattrapera pas. Tout ceci peut vous paraître un brin professoral. Mais si je vous dis qu’étant en classe de Terminale mon rêve était d’être prof d’histoire-géo, vous comprendrez pourquoi ce sujet me tient particulièrement à coeur. Sans compter qu’aujourd’hui encore les programmes scolaires ne font pas de place à l’histoire contemporaine de notre pays.
Il n’est donc pas inutile de revenir en arrière. Car nous sommes toutes et tous, même si ça nous fait mal aux seins, les enfants de cette France, qui, jusqu’à hier s’était cachée de l’autre côté du miroir.
Affaire à suivre dans les prochains jours.

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