mercredi 30 janvier 2008

Le Bankou (suite).

Le Président était pressé.
Depuis les élucubrations de l’autre président, il en avait ras le compte en banque. Bien sûr, cinq milliards ce n’était pas rien. Mais enfin c’était lui et sa poigne légendaire qui avait permis à cette foutue banque de redresser la tête au cours de la dernière décennie. En sortant de son immeuble où l’attendait Bertrand et l’Audi A5, il se disait qu’au cours d’aujourd’hui l’action avait quand même bien meilleure mine qu’en 1997 quand il avait repris les rênes du chariot. Il ne fit pas attention à l’ombre qui effleura la carrosserie noire et brillante de la limousine. Une main semblait avoir caressé le capot avec la douceur d’un prêtre posant ses doigts sur le front d’un mourant.

Le président était énervé.
Depuis ce matin il n’arrivait pas à se concentrer même sur les choses les plus sublimes. Il avait demandé à son chauffeur de glisser dans le lecteur CD l’interprétation de la Traviata de Verdi faite par la soprano Angela Gheorghiu à Covent Garden en 1994. Il était présent à ce concert et avait failli y pleurer de bonheur. Mais d’autres voix, comme des murmures grinçants venaient, à l’intérieur même de l’habitacle, perturber sa méditation.

Le président était embarrassé.
Il avait, ce soir, un rendez-vous prévu de longue date avec la confrérie des chevaliers du tastevin du Clos Vougeot. Difficile de maintenir dans son agenda de paria une rencontre dédiée au plaisir des sens. Et pourtant, il lui était difficile de rater la dégustation de ce soir. Au programme, un Grand Cru La Tâche, l’un des huit vins d’exception de Vosne-Romanée.

Bertrand avait vu le scooter traverser à la dernière seconde. Les voies d’accès à l’immeuble de la banque étaient en travaux sous La Défense. Un sacré bazar depuis plusieurs semaines. Bertrand manœuvra avec habileté. La direction de l’Audi grâce au blocage électronique de différentiel EDS répondit parfaitement au coup de volant. Le pilote du scooter s’en sortirait indemne. Mais le semi remorque qui livrait des poutrelles n’aurait jamais dû se trouver là, en face, sur la voie de gauche.

Un magazine anglais avait écrit un jour que le Grand Cru La Tâche était l’un des cents à goûter avant de mourir.
Le président ne goûterait maintenant plus à rien.

Le président était mort.






Il y a 10 ans
Vendredi, 30 janvier 1998.
Optimiste.

Quelqu’un qui me faisait le plaisir de lire mes modestes chroniques m’a demandé pourquoi je n’étais pas plus souvent « pour quelque chose » au lieu d’être quasiment toujours « contre les choses ».
L’actualité, perverse dans sa présentation médiatique, ne nous donne pas fréquemment l’occasion de nous enthousiasmer. Les sujets qui font les Unes des journaux et des 20 heures, sont plus proches des tragédies que des comédies.
Je préfère cent fois les films de Capra à ceux de Bergman. Je préfère mille fois le bonheur d’une naissance que les accidents mortels sur les routes du week-end.
Comme un éducateur de banlieue le disait hier à la télé, les médias préfèrent montrer ce qui ne marche pas plutôt que ce qui marche, même si ce n’est pas représentatif de le vie réelle.
Entre faire six ou huit pages sur le drame des ados emportés par une avalanche et utiliser la même surface d’expression pour montrer la joie d’une douzaine de mômes ayant obtenu leurs fléchettes, quel sera le choix du rédacteur en chef?
Parler des zones de reboisements réussies plutôt que des cas de pollutions.
Montrer des exploitants agricoles qui font bien leur métier plutôt que ceux qui donnent encore de la farine animale à leurs vaches.
Montrer aussi des maisons qui ne brûlent pas, des flics qui ne font pas de bavures, des petites vieilles qui ne se font pas piquer leurs sacs, des fonctionnaires qui font bien leur boulot, des hommes politiques qui agissent concrètement sans idéologies ...
Quelle serait la place d’un quotidien de bonnes nouvelles, dans notre pays où la culture judéo-chrétienne pourrait nous interdire de parler du bonheur des uns alors que d’autres n’arrivent pas à se sortir de leur malheur?
Un journal qui s’appellerait « Optimiste » par exemple, comme un « Point de vue et image du Monde » ouvert aux gens du peuple?


P.S. Il existe un quotidien en France qui a ce profil: c’est L’ÉQUIPE, qui, pour les fans de sport, apporte chaque jour des nouvelles enthousiasmantes. D’ailleurs c’est paraît-il le journal national le plus lu.

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